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À la rencontre de Franck LE MOEL

01/09/2018
Franck LE MOEL K4 500m championnat du monde montemor-o-velho 2018

Suite aux Championnats du Monde qui ont eu lieu fin août 2018, le Président de l'AS Mantaise a souhaité rencontrer Franck LE MOEL, athlète en Équipe de France de kayak et salarié du club.
Patrick LEFOULON, ancien médaillé olympique dans la discipline sous les couleurs du club conduit l'interview :

Patrick LEFOULON : comment as-tu découvert le canoë-kayak et à quel âge ?
J’ai pris ma première licence en club de kayak à 9 ans avec mon père qui était international de pirogue. Il nous a initié moi et mon frère qui avait 6 ans à l’époque. Je crois que j’ai commencé à Cergy. Pendant les vacances en Bretagne chez mes grands-parents, nous faisions déjà du kayak avec notre père.

P.L. : qu’est ce qui t’a plu dans la pratique du canoë-kayak ?
Au début je suivais mon père, j’aimais être avec lui et essayer de le suivre. Dès gamin j’aimais sprinter et je ne lâchais rien sur les entraînements. La compétition a depuis longtemps été un moteur. J’aime aujourd’hui l’ambiance de club, la glisse du bateau, le fait d’être à l’extérieur, les équipages car notre sport est aussi un sport d’équipe. C’est aussi l’occasion de voyager en France et à l’étranger. Mais ce qui me plaît toujours le plus c’est de monter sur un podium.

P.L. : quel a été ton premier entraîneur ?
Mon premier entraîneur était mon père. Jusqu’à mes 16 ans. Il était toujours là pour nous pousser à nous bouger moi et mon frère: faire du VTT, de la course à pied, de la musculation avec le poids de corps. Ce n’était pas facile de différencier l’entraîneur du papa. Il était exigeant à l’entrainement et en compétition, mais avec du recul et en voyant là où je suis arrivé, je ne le remercierai jamais assez.

P.L. : l’AS Mantaise n’est pas ton premier club. Quels sont les différents clubs que tu as fréquentés ? Pourquoi reste tu attaché à l’ASM ?
En fait, j’ai toujours suivi mon père, et notre histoire de vie a fait que l’on a souvent déménagé. J’ai été licencié dans peut être 4 ou 5 clubs avant l’AS Mantaise mais je n’y étais pas vraiment ! Ce n’étaient que des structures d’attache. Nous nous entraînions sur l’Oise et à Cergy avec mon frère Yoann et mon père.

Nous avions un moment voulu nous poser dans un club structuré, orienté compétition et course en ligne. Il n’y avait pas de doutes, l’AS Mantaise était de loin le meilleur club en IDF. Nous avons fait un essai à l’entraînement quand j’étais cadet. Et depuis, je suis resté. Avec l’AS Mantaise, il y a eu mes premiers vrais équipiers, mes premières médailles. J’y trouve des bons équipements, des amis, un état d’esprit qui me conviennent bien.

De plus, je me suis aussi attaché à la Ville de Mantes-la-Jolie. Il y a tout ici, l’eau, la campagne, la ville, les commerces, le club, le Stade Nautique et Aquanaute. Aujourd’hui, je ne me vois pas partir ailleurs, d’autant plus qu’avec Nicolas BOURSIER, j’ai un jeune équipier de valeur. Nous venons de faire vice-champion de France de vitesse en biplace !

P.L. : tu es issu de la filière sportive haut-niveau de la Fédération (pôle espoir de Caen, pôle France de Rennes puis de Vaires-sur-Marne)? Est-elle indispensable à l’éclosion d’un athlète ?
Je suis entré au lycée au Pôle Espoir de Caen en internat, puis au Pôle France de Rennes pour mes débuts en Équipe de France, puis au Pôle France Vaires-INSEP une fois devenu plus mature. S’il y a quelques exemples d’athlètes qui performent en s’entraînant en club, cela n’aurait pas été possible pour moi. Il y a eu des entraîneurs qui ont été très importants (Hervé DUHAMEL, Claudine LEROUX, François DURING entre autres) lors de mes années en Pôle. Sans leur savoir et les structures des Pôles, je ne serais pas arrivé à mon niveau actuel. Les entraîneurs sont des professionnels formés à la performance. J’ai appris d’eux et cela me sert tous les jours. Malheureusement nous ne bénéficions pas souvent en club d’une telle expertise et de telles compétences, la filière «haut-niveau» est donc indispensable.

P.L. : rappelle nous ton âge. Comment vas-tu et où vis-tu ?
J’ai 27 ans et je vis à Limay avec ma conjointe. Cependant je vais déménager en début de saison pour me rapprocher à nouveau du Pôle Vaires-INSEP. Dans la construction de mon projet de performance et de ma participation aux Jeux Olympique de Tokyo en 2020, nous avons clairement vu avec mes entraîneurs que je ne pouvais pas rester isolé à Mantes-la-Jolie. J’ai hâte de relever ce nouveau défi avec le Pôle-France mise en place à Vaires pour la préparation des  JO de Paris en 2024.

P.L. : quelle est ton activité professionnelle?
Je suis «chargé de mission en communication et partenariat» dans le club omnisports de l’AS Mantaise. Je suis venu un jour leur proposer mes services en échange d’une liberté complète pour mes entraînements. Aujourd’hui, j’ai trouvé un bon équilibre de vie. Le club y gagne car je pense, du moins j'espère, apporter un travail de qualité. C'est aussi une bonne vitrine que d'avoir un athlète qui performe au niveau international. À la rentrée, je travaillerai à distance : je serai à l’INSEP en contact constant avec le club. En 3 ans sur place, nous avons eu le temps d’installer une vraie confiance professionnelle et sportive. Cela nous permettra de continuer à travailler ensemble.

L’AS Mantaise m’a aidé énormément en m’offrant une certaine stabilité de vie grâce à un salaire et une souplesse d’emploi du temps. Le club a appris ce qu’était mon rythme et j’ai toujours en tête le devoir moral de leur rendre en produisant un travail intéressant. Je les remercie vraiment.

P.L. : tu es très engagé dans la vie du club omnisport et de la section CK. Peux-tu nous en parler ?
Dans l’omnisports bien sûr puisque je suis salarié. Je suis depuis peu élu dans la section canoë-kayak pour l’administration du site et de la page Facebook. J’ai pris conscience que ce qui fait un club, ce sont les gens qui y sont et qui s'engagent. Mon job, c’est d’être le meilleur possible au niveau international pour le club. Mais je voulais rendre service à la section, donc je me suis proposé d’aider. Ce n’est rien comparé aux personnes qui sont bénévoles sur chaque événement et au quotidien je trouve.

P.L. : quelles satisfactions trouves-tu dans tes activités professionnelles?
J’ai appris à m’organiser, à gérer la fatigue, à être professionnel et tant d’autres choses.  Comme je travaille pour mon club avec toutes ses sections (4000 adhérents dans 30 sections), j’ai la chance d’œuvrer pour une structure et des gens que j’apprécie.

P.L. : quelle est la charge d’entraînement hebdomadaire auquel tu t’astreins pour progresser au plus haut-niveau international ?
Il n’y a pas de secret, il faut faire ce que les autres ne peuvent pas faire ou ne veulent pas faire, c’est à dire s’entraîner chaque jour 2 à 3 fois et 6 jours sur 7.

P.L. : tu as été gravement blessé en 2016, année olympique. Tu as dû interrompre ton entraînement pendant 4 mois. Comment as-tu vécu cette période difficile ?
J’ai eu une hernie discale lors de la Coupe du Monde au Portugal. C’était une blessure grave, donc difficile à gérer pour moi. J’ai manqué les Championnats d’Europe à Moscou et les Championnats de France. J’avais tellement mal que je me demandais si un jour je pourrais remonter. Je n’ai rien lâché, je me suis entouré des meilleurs au niveau médical, et j’ai bossé pour revenir. Après quelques mois, j’avais perdu toute ma condition physique et ma technique, je suis reparti de zéro. Mais cette blessure n’est pas arrivée par hasard, c’était un mal pour un bien car j’ai changé de matériel, de posture en bateau et en salle de musculation, je m’étire bien plus, je veille à une bonne diététique. Je positive et je me dis que l’on apprend toujours de nos déboires.

P.L. : tu es très souvent éloigné de ton domicile pour des stages ou des compétitions. Comment vis tu ce sacrifice ?
Je me répète que ce n’est pas un sacrifice mais une chance quand c’est vraiment dur, que je suis au fond du trou, physiquement et mentalement. C’est vrai, je me rappelle qu’on n’a qu’une seule vie, qu’elle est courte et que jamais par la suite je ne regretterai de m’être mis à fond dedans. Je manque des fêtes, des moments, des amitiés peut-être, mais c’est la vie que j’ai choisi et elle en vaut la peine. Au quotidien, j’ai une compagne qui sait ce que j’essaie d’atteindre, elle m’aide beaucoup avec une organisation plutôt bien rodée. Ce n’est pas facile pour elle et je la remercie pour ce qu’elle fait. J’essaie de garder des moments de qualité avec elle et nous sommes restés un peu au Portugal après les Championnats du Monde pour profiter de ce que la vie a à nous offrir.

P.L. : dans tes activités professionnelles ou personnelles, quels enseignements tires-tu de ta vie d’athlète de haut-niveau?
Beaucoup, beaucoup de choses. Mais des mots me reviennent en tête, le premier est la persévérance. Il faut continuer encore et encore autant de temps qu’il le faut pour arriver à son but, quel qu’il soit et même si on l’impression que c’est impossible, que les gens n’y croient pas, et que parfois même soi-même on n’y croit plus. Il faut y croire plus fort que les autres et savoir faire taire la petite voix qui revient régulièrement dire «c’est trop dur, va faire la fête, pars en vacances, ça sert à rien». Ensuite, je dirais que le chemin est peut-être plus important que l’objectif. Avec une blessure comme j’ai eu, tout aurait pu s’arrêter. Je peux ne pas me qualifier pour un centième, faire 4e en finale, ou ne pas passer en finale pour un rien, il y a beaucoup de scénarios difficiles ! Tout cela m’a conduit à aimer ce que je fais quoi qu’il puisse advenir. C’est quelque chose que j’ai en tête si je m’écarte de mon objectif. Il faut faire en sorte que les choses soient réalisées, comme mon ancien entraîneur me disait "moins de blabla, plus de résultat". La notion de plaisir est aussi importante. Tout a un prix et mérite effort pour l’atteindre mais toujours avec plaisir. Le kayak ne m’apportera pas d’argent mais c’est ce que j’aime.

P.L. : quel conseil donnerais-tu à un jeune sportif qui démarre sa carrière sportive ?
Par «démarrer sa carrière sportive » je considère qu’il ou elle s’est mis en tête d’aller chercher les meilleures places. Alors je lui dirais d’y croire fort et de persévérer des années durant. Je lui dirais d’aller parler aux meilleurs qui pourront lui donner des astuces pour prendre le bon chemin.

Il paraît que nous sommes la moyenne des 5 personnes qu’on côtoie le plus, alors autant s’entourer de personnes inspirantes qui veulent la même chose que toi, ou qui partagent ta philosophie. Je lui dirais de se fier à son instinct sur la route qui mène au succès. Je lui dirais de travailler dur MAIS intelligemment. On ne donne pas la médaille à celui qui a fait le plus de kilomètres, ou qui soulève le plus lourd en musculation, ou qui est devant à l’entraînement, mais à celui qui franchit la ligne en premier.

P.L. : Tokyo 2020 est ton objectif principal. Comment se dessine cette participation aux jeux olympiques ? Comment la vois-tu se réaliser et dans quel équipage ?
Je veux aller au Japon soit en K4 500m, soit K1 200m. Je progresse chaque année, par petit pas, mais je continue toujours de progresser. J’ai intégré le K4 500m qui est olympique cette année, c’est donc un bon signe de confiance de la FFCK. Nous faisons 6e en finale mondiale, ce qui vaudrait un quota olympique si nous refaisons au moins aussi bien en 2019. Je reste optimiste et cela se dessine plutôt bien. Maintenant qui vivra verra ! On ne sait rien jusqu’à ce que la ligne soit franchie, je reste concentré sur mon objectif.

P.L. : comme tout le monde le sait, Paris a obtenu l’organisation des Jeux Olympiques en 2024. Envisages tu de prolonger jusqu’aux jeux Olympiques de Paris ? Tu auras alors 33ans ce qui pour un pagayeur, est l’âge de la plénitude. Rappelons que le dernier médaillé olympique français en course en ligne à Rio avait 34 ans lors de sa médaille.
Je ne ferme pas la porte à 2024, je dirais même que c’est un vrai objectif ! Cela dépendra de Tokyo, et du plaisir que j’ai à relever de nouveaux défis après 2020. Mais clairement,  je veux y être.

P.L. : comment positionnes-tu le bassin de course en ligne de Mantes ayant accueilli des épreuves internationales, vis-à-vis de celui de Vaires-sur-Marne, futur site olympique ?
Le bassin de Vaires-sur-Marne a été retenu comme site olympique dans la perspective de 2024. Il est devenu le centre d’entraînement des équipes de France de canoë-kayak et accueillera beaucoup plus de compétitions d’ici les JO de Paris. Cependant Mantes reste un lieu de compétition incontournable dans l’hexagone. Le club a démontré un savoir-faire en matière d’organisation et le bassin en lui-même est reconnu par les meilleurs comme étant agréable et équitable pour tous les concurrents (la profondeur est la même partout et le vent est dans l’axe).

P.L. : Le programme olympique de course en ligne semble en déficit médiatique au regard de l’eau vive en constante évolution. Qu’en penses-tu ?
On voit que l’ICF cherche des solutions pour le rendre plus attrayant. Cette année sur la Coupe du Monde de Szeged, les athlètes passaient par un portail sur l’eau pour montrer chaque finaliste dans le même esprit qu’en athlétisme. Le but est de créé des stars, des gens qu’on reconnaît et que le public peut s’approprier. Ils cherchent des moyens techniques pour filmer de plus près pendant la course donc plus télégénique

Je pense qu’il faut que les gens puissent s’identifier aux kayakistes. Le Stand Up Paddle (SUP)  est l’exemple même d’une discipline qui attire les masses car tout le monde peut le pratiquer, acheter sa planche et s’amuser. Il y a même eu une Coupe du Monde « Mercedes » de SUP cette année ! Les partenaires seront toujours là pour organiser des grands évènements que les spectateurs veulent voir, il faut être dans le coup avec des formats attrayants et dans des endroits accessibles.

P.L. : comment vois-tu ton avenir ?
Déjà, je le vois passer par les Jeux Olympiques de Tokyo. Toutefois, je prépare l’après et j’acquiers des compétences grâce au monde professionnel. Je ne manque pas de projets pour adopter un style de vie qui me conviendrait dans l’avenir.

Ton idole sportive
Je n’ai pas vraiment d’idole, mais je regardais tout le temps Adam Van Koeverden sur Youtube quand j’étais gamin. Il y a de nombreux sportifs et sportives très inspirants. Je m’en rends compte, il y a de vrais héros, des gens fascinants et j’essaie de creuser un peu plus dans l’histoire et le parcours de ceux que je rencontre ou via des lectures. J’admire des athlètes qui n’ont même pas forcément fait la médaille d’or ou la médaille tout court.

Ta fierté
Ma famille. Rendre fiers mon père et mon frère est quelque chose qui me tient à cœur.

Ton regret
J’essaie d’évoluer sans en avoir, même si j’ai mal fait. On peut rectifier le tir et apprendre des erreurs. J’ai manqué des sélections, des médailles, des finales mais c’était bien car ça m’a emmené là. Je dirais qu’un dur moment fut lorsqu’on ne s’est pas qualifié en finale des Championnats du Monde U23 en K2 avec Guillaume LEFLOCH DECORCHEMONT alors qu’on fait la médaille aux championnats d’Europe à Mantes quelques semaines avant. On avait les moyens, mais ce jour-là il a manqué un petit quelque chose. Comme j’étais en finale A en K1, et que la finale B du K2 était 5 minutes avant, Guillaume a abandonné pour me laisser courir la grande finale. J’aurais aimé la vivre en K2 avec lui. C’est un très bon équipier et nous sommes un bon duo comme l’atteste notre médaille d’argent au derniers Jeux Méditerranéens en juin.

Ton film culte
J’en aime trop pour penser à un seul. Je regarde pas mal de films et séries grâce à mon abonnement à Netflix.

Ta chanson culte
Alors là c’est pire que les films, je vis avec la musique tout le temps, de tous styles ou presque. Impossible de citer une chanson, mais j’en ai une pour de nombreux moments agréables ou difficiles de ma vie. J’ai un abonnement à Deezer qui est plus que rentabilisé chaque jour. Gamin, j’allais à l’espace culturel dépenser mes 10-15 euros pour acheter mes albums. Les premiers que j’ai acheté étaient « Cinquième as » de MC Solaar et «Kingston Karma» de Pierpoljak. Mon père me gravait des CD de rock, il m’a fait découvrir la bonne musique et je suis sensible aux émotions que procure de nombreuses chansons, avec ou sans paroles.

Ton rêve, ton utopie
Mon rêve ? J’en ai plein. Un style de vie où je voyage très souvent. Le monde est trop petit mais à la fois trop grand pour tout voir : il faut que je voyage. Une médaille d’or olympique. Une famille, des enfants qui vivent des choses incroyables. J’ai beaucoup de rêves. Si tu arrêtes de rêver tu es un peu mort je pense.

Mon utopie c’est de travailler sans en avoir l’impression, de travailler différemment en emmenant les autres vers le succès.

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